Dario Argento et Françoise Lebrun dansVortex.Photo de : Utopie

Chez Gaspar NoéVortexest peut-être le film le plus humain qu'il ait jamais réalisé. Et pourtant, d’une certaine manière, c’est aussi le plus cruel. Cela en dit long pour un cinéaste qui, dans le passé, nous a donné des scènes de viol de neuf minutes et des gros plans de têtes frappées avec des bouches d'incendie, sans parler de la fois où il a effectivement mis un avertissement à l'écran pour informer le public qu'il avait 30 secondes pour quitter la salle avant que les choses ne deviennent vraiment horribles. Noé fait des films traumatisants, certes.Vortex, cependant, n'a pas la violence extravagante de ses efforts antérieurs. Inspiré en partie par des événements de la vie du réalisateur, le film suit un couple de personnes âgées confronté à la fragilité et à la démence. L'épouse (interprétée par l'actrice française Françoise Lebrun) est une ancienne psychologue qui commence à souffrir de la maladie d'Alzheimer. Le mari (interprété par le légendaire réalisateur d'horreur italien Dario Argento) est un critique de cinéma vieillissant qui est trop fragile physiquement pour aider ou faire face à la maladie de sa femme.

Vortexn'a pas besoin de têtes écrasées pour être pulvérisé émotionnellement. Il y a un acharnement sans faille, presque clinique, dans l'image, mais c'est là que réside sa compassion et son empathie. Les protagonistes de Noé n'ont pas de répit dans leur situation, alors pourquoi le devrions-nous ? Dans une première scène, nous regardons le mari et la femme allongés dans leur lit, chacun occupant un côté de l’écran. Il ronfle paisiblement. Elle reste bien éveillée, les yeux ouverts de peur et de confusion. Est-ce qu'elle comprend ce qui lui arrive ? C'est la scène la plus simple et terrifiante, le genre de moment qui laisse des nœuds dans l'estomac du spectateur. Lentement, une ligne se dessine au milieu du cadre, les séparant en deux plans. Le reste du film se déroule sur cet écran partagé, comme pour incarner la distance psychique croissante qui les sépare. C'est visuellement saisissant et plutôt beau, mais aussi profondément troublant.

Noé a toujours aimé laisser ses caméras dériver dans et autour de ses personnages, tourbillonner, planer et poursuivre. Mais dans le passé, ces personnages avaient un but et un dynamisme ; ils étaient en quête, bien que souvent horribles. Ces dernières années, cependant, le réalisateur s'est montré plus lâche avec la caméra et avec son intrigue, permettant à ses acteurs d'improviser davantage. Il semble se contenter de laisser persister les détails imprévisibles des moments intimes au lieu de foncer vers des sommets spectaculaires et monstrueux. DansVortex, cette qualité flottante, combinée à l'écran partagé, ajoute à la désorientation. La femme s'en va au marché, mais elle ne cherche rien. Au fil des minutes, nous réalisons qu'elle n'est pas sûre de ce qu'elle fait ni de l'endroit où elle se trouve. Elle ne parle pas beaucoup. Habituellement, elle marmonne de manière inaudible ou reste silencieuse. Le fait que Noé ait choisi Lebrun, autrefois célèbre pour ses monologues, est sûrement une sorte de provocation.

Le style errant et fragmenté reflète sa confusion ; nous aussi pouvons ressentir l’aliénation dans nos os. Divisé en deux écrans, chaque personnage est dans son propre monde, même s'ils occupent le même appartement parisien exigu et bien vécu, rempli de livres et d'affiches. Noé est lui-même un collectionneur notoire d'affiches de cinéma et il a perdu sa mère il y a quelques années à cause de la maladie d'Alzheimer. (Le fils du couple, un drogué en convalescence, apparaît à plusieurs reprises, et on imagine que Noé se voit probablement aussi un peu de lui-même dans cet homme.) Ne vous y trompez pasVortexC'est un acharnement pour la froideur ou la distance. Chaque seconde bouillonne d’émotions d’une nature intensément personnelle. C'est un réalisateur confronté aux recoins les plus sombres et les plus tristes de son esprit.

Pour être honnête, il y a des moments de grande tendresse à l'écran dansVortex, aussi. Ou plutôt des moments de tendresse ordinaire qui deviennent grands grâce à la vanité cinématographique de Noé. À un moment donné, lors d’un moment particulièrement anxieux pour la femme, le mari tend la main – à travers son corps et dans le sien, visuellement – ​​et lui saisit la main. C'est le geste le plus simple, mais il prend une importance monumentale dans le cadre esthétique de Noé. Et cela a une importance monumentale dans ces vies : lorsque même la tâche la plus simple devient une épreuve, une main qui tient la vôtre change sûrement le monde.

En fin de compte, qu'est-ce qui faitVortexsi cruel est ce qui le rend si honnête. Trop souvent, les films sur de telles luttes tentent d’édulcorer leurs histoires, d’atténuer le sujet sombre (et très réel) avec une évasion timide et de l’élever grâce à une pensée magique et des connotations spirituelles. Noé, étant Noé, va dans le sens inverse : Il nous y frotte le visage. Peut-être parce qu'il ne pense pas au public ou à ceux qui restent ; il est entièrement du côté des gens à l’écran. Une dernière tentative visant à donner un sens spirituel plein d’espoir à toute cette épreuve est rejetée avec un ton neutre et presque hilarant. Personne ne peut « aller dans un endroit meilleur »Vortex. Et pourtant le film est sublime.

VortexC'est le film le plus humain de Gaspar Noé. Et son plus cruel.