Marion Cotillard et Éric Génovèse dans Jeanne d'Arc au bûcher de Honegger.Photo : Patrick Berger

Dans le monde réel, ce n'est peut-être pas le moment idéal pour glorifier un chef de guerre adolescent fanatiquement religieux, ou pour se demander avec sympathie ce qui lui passe par la tête alors qu'elle est brûlée vive. Pourtant, le temps efface la différence entre les terroristes et les saints, et Jeanne d'Arc est plus connue comme une statue équestre que comme une jeune fille sanguinaire. L'oratorio d'Arthur HoneggerJeanne d'Arc au bûchernous donne l'enfant derrière l'icône, un paysan effrayé et naïf qui oscille, comme tous les adolescents du monde entier, entre fanfaronnade obstinée et confusion totale. Dans cette pièce brutalement satirique et colorée de 80 minutes, sa vie et ses fantasmes se déroulent sous la forme d'une série de flashbacks spasmodiques, ce qui en fait la finale parfaite pour la saison du New York Philharmonic. L'habitat naturel de l'œuvre est une salle ordinaire, avec des artistes en tenue de concert disposés de manière rigide devant les violons, mais ici l'orchestre a transformé l'Avery Fisher Hall en une salle d'opéra, retirant les premières rangées de sièges pour une fosse impromptue et construisant un scène qui s'étend jusqu'à l'endroit où devrait se trouver une tribune d'orgue. Le metteur en scène Côme de Bellescize a mis en scène l'oratorio comme un événement théâtral à grande échelle, d'abord au Festival Saito Kinen au Japon en 2012, puis en France. C'est le genre d'événement qui fait ressortir le meilleur de la Philharmonie dirigée par Alan Gilbert. Pour l'occasion, l'orchestre s'est transformé en compagnie de théâtre, intégrant drame parlé (en français, interprété, entre autres, par Marion Cotillard) et musique incandescente dans un divertissement audacieux et brillant.

Honneger est plus connu pour son sérieux que pour sa subtilité, mais il savait raconter une histoire. Sa pièce la plus célèbre,Pacifique 231, résume l'ère des machines en dramatisant l'accélération d'un train, son point culminant à pleine vitesse, puis le sifflement sifflant qui entre dans la gare.Jeanne d'Arcest tout aussi vivant, tout comme les costumes de Colombe Lauriot Prévost. Des cardinaux en robe rouge crient des malédictions latines, un démagogue vêtu d'une tenue de cochon rose Maalox réveille une foule de moutons, un narrateur colporteur colporte sa magie à un chœur d'enfants du village vêtus de teintes Play-Doh. L'orchestre joue la partition lumineuse et tapageuse avec enthousiasme, et l'excellence combinée des New York Choral Artists et du Brooklyn Youth Chorus donne à la pièce une touche de saga.

Au centre de toute cette folie se trouve Joan elle-même : Marion Cotillard dans une simple robe blanche, à la fois tison et gamine idiote. Elle est tout à fait crédible en tant que cœur innocent qui a déclenché une effusion de sang et forgé une nation, sans jamais vraiment comprendre ce qu'elle avait fait mais sachant que c'était bien. Le reste du casting est également français, comme il se doit, puisqu'il s'agit d'une histoire de création nationaliste qui dépend de la diction et du sens du style. Les répliques peuvent paraître trop déclamées aux oreilles américaines, mais la musique scintillante et féroce nous fait tout pardonner.

Jeanne d'Arc au bûchersera joué jusqu'à samedi à l'Avery Fisher Hall.