Le scénariste et consultant en scénario français Antoine Le Bos est le PDG fondateur du Groupe Ouest, une initiative résidentielle spécialisée dans le coaching en scénarisation et le développement de projets. Il est basé sur la Côte sauvage des Légendes en Bretagne, dans l'ouest de la France.
Depuis sa création en 2006, Le Groupe Ouest a travaillé avec plus de 800 cinéastes de 50 territoires à travers le monde et soutenu le développement de centaines de projets dont la Caméra d'Or de CannesDivins, vainqueur du Léopard d'Or de LocarnoImpieet plus récemment lauréat du prix du grand jury de SundanceYalda, une nuit de pardon.
Son programme phare Less Is More (LIM) est une initiative à deux volets qui coache les écrivains-cinéastes porteurs de projets ainsi que les producteurs créatifs et futurs monteurs d'histoires, connus sous le nom d'« agents de développement », sur la façon de travailler avec les écrivains.
L'édition 2020, qui comprend 16 projets impliquant 20 écrivains-cinéastes et 12 agents de développement, devait débuter à la mi-mars par un atelier d'une semaine dans la forêt de Wolski, près de Cracovie, en Pologne, au moment même où la pandémie de coronavirus s'intensifiait. Agissant rapidement, Le Bos et son équipe ont reconfiguré le programme afin que les participants puissent travailler en ligne. Le Bos, supervise les opérations depuis son domicile en Bretagne avec des déplacements occasionnels dans les bureaux désormais vides du Groupe Ouest.
Quelle est la situation où vous vous trouvez actuellement ?
Je suis confiné comme tout le monde en France depuis le 16 mars. Je suis en pleine campagne dans le Finistère, à environ 500 mètres de la mer, avec beaucoup d'air frais et des matchs de foot en famille dans le jardin. Les plages sont interdites, je pars donc courir quotidiennement, tôt et seul, dans les champs dans un rayon d'un kilomètre autour de chez moi.
Les affaires se déroulent-elles comme d'habitude pour vous et votre équipe ?
L'équipe travaille à domicile et les bureaux du Groupe Ouest sont vides mais nous avons transformé notre cœur de métier : le coaching d'écrivains. Personne ne voulait abandonner les écrivains. Au contraire, nous avons tous estimé que c’était le moment même de travailler plus dur pour soutenir la création d’histoires qui ont du sens dans ce nouveau contexte.
Nous avons pris 10 jours pour reconfigurer nos ateliers en ligne. C'est une nouvelle façon de travailler que l'on apprend à toute vitesse pour que les auteurs puissent profiter de cette période en réfléchissant intensément à leurs futurs films. Après la disparition du virus, il y aura un monde à reconstruire et il sera urgent d’écrire les histoires qui manquent, en s’appuyant sur cette transformation profonde que nous vivons tous en ce moment.
Comment maintenez-vous une routine de bureau ?
Les permanents du Groupe Ouest organisent trois réunions d'équipe par semaine, sur Jitsi Meet. Les bureaux sont à seulement 500 mètres de chez moi, donc lorsque nous organisons des séances collectives, je continue d'y travailler seul, en partie pour des raisons symboliques, mais surtout pour garantir une bonne connexion Internet. De retour à la maison, j'ai cinq à six appels vidéo distincts par jour. Je garde la caméra allumée. C'est important de pouvoir se voir. Cela vous aide à continuer.
Comment continuez-vous le travail de LIM dans cette période ?
LIM trouve son origine dans l'utilisation des limitations créatives comme outil pour stimuler le processus créatif et générer un cinéma qui creuse en profondeur. Cette pandémie est pour nous l’occasion d’essayer quelque chose de nouveau.
J’ai lancé l’édition 2020 vendredi dernier (31 mars) avec une masterclass d’introduction devant les scénaristes-cinéastes, scénaristes-consultants et « development angels ». Avec l’équipe et quelques autres partenaires, nous étions une quarantaine en ligne en même temps. C’était très émouvant de voir tous ces gens venus des quatre coins du monde réunis sur un seul petit écran, tous confinés à cause de la même situation de paralysie internationale.
Comment a-t-il reproduit ce processus en ligne ?
Les ateliers se déroulent normalement à la campagne, loin des villes et des distractions de la vie quotidienne. Être en pleine nature, se promener en forêt ou le long de la côte aide les participants à se concentrer plus intensément sur leur travail. Avec cette nouvelle méthode en ligne, chacun apprend à travailler et à se connecter grâce à d’autres codes. C'est passionnant d'analyser ce qui en ressort et en quoi cela diffère ou est complémentaire des séances en chair et en os.
Pensez-vous que la pandémie de coronavirus influencera les projets ?
Les auteurs n'ont pas le choix. Ils doivent tenir compte de la situation. C'est une nouvelle réalité, surtout pour les participants qui ont vécu une vie relativement confortable en Occident. Soudain, nous sommes liés par un traumatisme collectif. Cela aura certainement un impact sur les projets mais qui sait comment. Nous ne pourrons pas voir comment avant au moins six mois.
Quels systèmes utilisez-vous pour communiquer ?
Nous avons toujours été de grands utilisateurs de Skype pour des petites réunions avec des personnes basées dans différents pays mais avec ce nouveau contexte, nous sommes passés à Zoom et ce n'est pas mal du tout.
Quels plans d’urgence élaborez-vous pour les prochains mois ?
Nous allons devoir convertir des dizaines d'ateliers d'écriture en utilisant les leçons tirées de notre expérience de gestion de LIM en ligne. Nous avions prévu un événement industriel pour LIM fin juin, une sorte de marché de coproduction sur la plage. Les élus locaux ont apporté leur soutien et les restaurants et entreprises de la région étaient impatients d'accueillir des invités venus de toute l'Europe et d'ailleurs. Ce sera un crève-cœur de l'annuler, mais s'il le faut, nous le diffuserons en ligne. Il faut rebondir de manière créative et écologique.
Quels conseils avez-vous pour le travail à domicile ?
Gardez une pièce fermée et séparée pour réfléchir, lire, écrire et Skyper.
Si vous avez des enfants, petits ou grands, comment parvenez-vous à les divertir/à les éduquer pendant que vous travaillez ?
Nous avons regardé ensemble tous les soirs des films importants, des œuvres qu'ils ne connaissent pas, des films récents, des classiques, des films qui ouvrent des émotions, provoquent la conversation, piquent leur curiosité. Nous avons beaucoup regardé le cinéma italien de l'après-guerre, une période où l'humanité a démontré une capacité à régénérer la vie qui laisse sans voix. Des films comme celui de Federico FelliniDans la rue, de Luchino ViscontiNuits blancheset celui de Mario MonicalliLe voleur passionné.
Y a-t-il autre chose que tu esEst-ce que tu regardes, lis et écoutes pour traverser cette période ?
J'ai aussi réussi à me procurer la filmographie complète de Pierre Etaix et j'ai aussi redécouvert les joies de la corde à sauter.
Quels conseils donneriez-vous aux professionnels du cinéma qui s’inquiètent pour l’avenir ?
Ce qui est clair, c’est qu’il ne sert à rien de s’accrocher au passé. Il va falloir réinventer, anticiper et rêver autrement. Nos métiers devront continuer à construire du sens, à aider les humains à se rassembler autour de ces idées et rêves communs qui contribuent à générer de l’espoir pour nos enfants – tout en évitant de tomber dans le conservationnisme.
Quel changement positif cette crise pourrait-elle apporter à l’industrie ?
Plutôt que « pourrait », je dirais « doit ». Ce qui se passe doit susciter un renouveau. Cela doit arriver, dans tous les sens du terme. Aucun retour à la normalité d’avant ne devrait être autorisé.