« L'Affaire Goldman » : Revue de Cannes

La Quinzaine des réalisateurs s'ouvre avec le procès fascinant et volatile de Pierre Goldman, interprété par Ariel Worthalter

Réal. Cédric Kahn. France. 2023. 116 minutes

L'affaire Goldmancommence à l’extérieur d’une salle d’audience, mais même ce seul « extérieur » la séquence est tournée dans un espace confiné. Le volatile Pierre Goldman (Ariel Worthalter) a écrit une lettre pour tenter de licencier son avocat principal Georges Kiejman (Arthur Harari) une semaine avant son nouveau procès en 1975 pour vol à main armée et meurtre de deux pharmaciens à Paris. Cédric Kahn ne perd pas de temps à poser les lignes de son film de plus en plus tendu et hargneux ? une affaire judiciaire et deux Juifs polonais nés en France et issus d'un héritage modeste dans la France de l'après-Holocauste, l'un qui respecte les règles et l'autre qui se fait une loi. Des dialogues rapides et un jeu d'acteur exceptionnel, le type d'écriture et de performances qui peuvent transporter un film se déroulant dans une vilaine boîte brune, devraient voir cette Quinzaine des réalisateurs ouvrir le film à d'autres festivals et pièces de théâtre spécialisées.

Worthalter est magnétique comme le mercuriel Goldman

Alors que la caméra de Kahn se dirige directement vers la salle d'audience et que nous apercevons pour la première fois l'ancien révolutionnaire Goldman, le terrain est posé pour une image d'un pays encore sous le choc de tout ce qui l'a précédé ? et une génération de Juifs français devenus majeurs après la guerre, nés de parents qui ont vécu la terreur. Kahn prend la structure de la salle d’audience française pour l’examiner en détail. Ce n'est qu'un cas, c'est vrai, mais il est suffisamment frappant pour que Kahn et sa co-scénariste Nathalie Hertzberg insufflent des nuances dans les transcriptions judiciaires et les articles de journaux. Le jeu des acteurs, le jet même de mots à travers une petite pièce, fait ressortir tous les points paradoxaux, avec Worthalter magnétique comme le mercuriel Goldman ? un homme difficile à aimer mais aussi à détourner du regard.

Le cas Goldman est bien connu en France ; l'accusé a publié ses mémoires alors qu'il était en détention provisoire, aux côtés de nombreux autres auteurs qui ont tenté de transmettre le problème très singulier qu'était Ariel Goldman. Fils de réfugiés polonais, sa mère était une militante marxiste qui l'a présenté aux rebelles à Cuba, ce qui l'a conduit à passer du temps comme combattant au Venezuela. De retour en France, il devient voleur à main armée. Il a reconnu les charges retenues contre lui, à l'exception du meurtre des deux pharmaciens. Il a refusé de citer des témoins pour sa défense, affirmant "Je suis innocent parce que je suis innocent". Pourtant, derrière son idéologie incendiaire se cache le fait incontestable que ses nobles idéaux ont été dégradés au point qu’il gagne sa vie comme voleur à main armée. Kiejman, chargé de le défendre, n'a jamais commis d'erreur dans la société française.

Kahn, réalisateur (son dernier film futJoyeux anniversaireen 2019), écrivain et acteur, utilise son expérience devant et derrière la caméra pour aspirer progressivement l'air de la pièce afin qu'il ne reste plus que les paroles et les performances. (La conception de la production a non seulement peint la cour avec des murs lambrissés marron, mais l'a également remplie de spectateurs vêtus des couleurs « automnales » uniformes du milieu des années 1970). Les procès français sont-ils vraiment comme ça, avec l'accusé, le procureur, le juge et les deux équipes juridiques ? même le jury ? si volubile, si émotif, si physiquement proche les uns des autres ? Pour les téléspectateurs internationaux dont l'expérience des tribunaux français se résume à des séries téléviséesSpireje (Engragages), la proximité des principaux acteurs surprendra vivement.

Il n'y a pas de partition, les mots et les sons étant les seuls engrenages émotionnels, montant jusqu'à un crescendo. Il y a d’ailleurs peu de présence féminine, mais cela ne semble ni optimiste ni trop masculin. Les idées sont sur le banc des accusés et leur dissolution. La galerie est dans un état constant de frénésie à peine contrôlée, criant son soutien à cette figure contestataire imparfaite. Techniquement,L'affaire Goldmanest-il un film à admirer pour tout ce qu'il accomplit dans un format aussi structuré ? émotionnellement aussi, même si le cas est très particulier, il y a tellement de choses à engager.

Société de production : Moonshaker

Ventes internationales : Charades,[email protected]

Producteur : Benjamin Elalouf

Scénario : Cédric Kahn, Nathalie Hertzberg

Photographie : Patrick Giringhelli

Scénographie : Guillaume Deviercy

Montage : Yann Dedet

Acteurs principaux : Ariel Worthalter, Arthur Harari, Jeremy Lewin, Nicolas Briançon, Stephan Guerin-Tilie