
Emmanuelle Seigner and Mathieu Amalric in Venus in Fur.Photo : Guy Ferrandis/Sundance sélectionne
Il n'est pas difficile de deviner pourquoi Roman Polanski a décidé de filmer la pièce brillamment idiote de David Ives.Vénus en fourrure.L'histoire d'un scénariste-réalisateur arrogant de plus en plus émasculé par une actrice en audition, le projet offre un rôle juteux à sa femme, Emmanuelle Seigner, et l'occasion pour lui, compte tenu de sa ressemblance avec l'acteur Mathieu Amalric, de styliser sa propre performance. DoncVénus en fourrureest à la fois pervers et peut passer pour une forme d’autoflagellation. Autre chose non négligeable : cela lui permet de démontrer, avec un minimum de moyens, son superbe savoir-faire.
Outre la traduction de la pièce en français, Polanski et son co-scénariste Ives restent proches de la source. Une actrice punk et casse-gencive nommée Vanda (Seigner) arrive en retard dans un théâtre vide pour une audition et supplie le dramaturge Thomas (Amalric) de la laisser lire pour le rôle de "Vanda" (quelle coïncidence!) dans une version théâtrale de la nouvelle phare de Leopold von Sacher-Masoch de 1870,Vénus en fourrures-d'où est dérivé le diagnostic chérimasochisme.
Ce qui suit est une courbe folle et dramatique après l’autre. Il s'avère que Vanda connaît le scénario bien mieux que ne le suggèrent ses premiers bavardages, et, entre les lectures de lignes si assurées qu'elles laissent l'écrivain bouche bée, elle défie la dominatrice de Thomas (et de Sacher-Masoch). « Vanda », affirme Vanda, est le genre de projection masculine qui surestime à la fois le pouvoir d'une femme et justifie la misogynie qui la maintient à sa place. L’argument d’Ives est absolument contradictoire. D’un côté, Vanda condamne Thomas pour avoir écrit sur les femmes sans voir le monde à travers leurs yeux. De l’autre, c’est une destructrice mythique après tout.
La pièce s'apprécie mieux comme une gaffe à la fois sur la déconstruction féministe et sur les fantasmes masochistes de l'artiste masculin. C'est une preuve exaltante, comme une grande partie du travail d'Ives, que la parodie peut s'élever au niveau de l'art. L'actrice Nina Arianda a remporté l'affaire sur la scène new-yorkaise, qui a négocié chaque transition fantastique sans avoir l'air de transpirer : le ditz, le comédien autoritaire, l'étudiant diplômé bavard et la déesse vengeresse étaient tous sur le même magnifique continuum. En tant qu'antagoniste, Hugh Dancy la regardait avec plus d'horreur que Hannibal Lecter.
Entre les mains de Polanski,Vénus en fourruretient l'écran, mais le casting atténue l'éblouissement. Seigner travaille dur pour gagner le piédestal qu'est Vanda, ce qui est le problème : aussi belle qu'elle soit, vous la voyez transpirer. Dans les scènes d'ouverture, elle m'a rappelé l'amatrice Eliza Doolittle, mais elle fait bien mieux dans le rôle de la dominatrice de Sacher-Masoch, sa diction hautaine, sa coquetterie rusée. Amalric est plus convaincant, mais trop un chien battu. Le pas de deux érotique que j'ai vu sur scène devient deux acteurs mal assortis dans des sphères distinctes.
La faiblesse d’Amalric est en partie due à Polanski. L'acteur est parfois encadré comme Benjamin dansLe diplômé,une silhouette chétive éclipsée par la chair féminine. Mais la mise en scène, selon ses propres termes, est pleine d’esprit, élégante et ingénieuse. Chaque composition, chaque mouvement de caméra évoque le pouvoir décroissant de Thomas et le contrôle de l'espace par Vanda. Le réalisateur a toujours apprécié le Grand Guignol et il apporte une allégresse de vampire dans les travellings qui ouvrent et clôturent le film, nous faisant entrer et sortir de la salle comme dans une crypte, tandis que le compositeur Alexandre Desplat livre un délicieuxdanse macabre.Si vous n'avez pas vu la pièce sur scène et que vous ne savez pas ce que vous manquez, voiciVénus en fourrurea ses charmes démoniaques et masochistes.
*Cet article paraît dans le numéro du 16 juin 2014 deMagazine new-yorkais.