Photo de : Strand Release

Je ne devrais probablement même pas te dire çaÉtranger au bord du lacest un thriller, car une grande partie de la beauté de ce film séduisant réside dans la façon dont il vous surprend, dans la façon dont les éléments du genre s'insinuent discrètement dans l'histoire. Situé entièrement dans un haut lieu de drague d'homosexuels au bord d'un lac, le film d'Alain Guiraudie démarre comme une étrange romance, peut-être même une douce comédie, avant de virer au mystère et finalement de devenir… brièvement, de manière alléchante, autre chose.

Le film suit Franck (Pierre Deladonchamps), un jeune homme dont on ne sait pratiquement rien d'autre que le fait qu'il passe de nombreuses journées d'été à se prélasser nu autour d'une plage tranquille et abritée où les hommes se suivent nonchalamment dans les bois voisins pour des questions anonymes. (et, tel que présenté à l'écran, explicite) le sexe. Au début, le film est centré sur les conversations de Franck avec Henri (Patrick D'Assumcao), un homme plus âgé qui se remet d'une rupture amoureuse, qui se tient à l'écart du reste des habitués de la plage et qui semble en avoir assez de toute cette histoire d'amour et de sexe. Guiraudie n'est pas grand chose pour le contexte - il faut quelques minutes après leur première conversation avant même de se rendre compte que Franck et Henri ne se connaissent pas - mais il a la confiance nécessaire pour nous guider le long de l'allée du jardin sans nous dire exactement où nous y allons. Les deux hommes discutent, Franck part à la recherche d'une potentielle rencontre, puis il revient et ils discutent encore. De temps en temps, Franck va se baigner.

Tout cela pourrait probablement devenir très vite fastidieux, mais pour accompagner le naturalisme de ses acteurs, Guiraudie a un style pictural désinvolte qui capture ces hommes au repos d'une manière élégante sans jamais se sentir posé. Le réalisateur s'approche rarement des personnages, préférant les regarder en plans pleins ou larges : cela rend non seulement leurs corps omniprésents, mais crée également une étrange aura d'inconnaissabilité. Le film est observateur, mais malgré toute cette nudité et ce sexe, rarement intime. Si vous y réfléchissez, ces hommes le sont aussi, à la recherche de relations sexuelles mais cherchant rarement une véritable connexion. « Vous restez ensemble jusqu'au crépuscule, sans connaître vos noms ni échanger vos numéros de téléphone ? » demande à un moment donné un étranger déconcerté à Franck.

En fait, Guiraudie prend une note d'intimité lorsque Franck s'implique davantage avec Michel (Christophe Paou), un beau moustachu qu'il avait repéré. Le sexe entre eux devient progressivement plus affectueux, voire passionné, à mesure que Franck tombe de plus en plus fort. (Étranger au bord du lacn'essaye pas de titiller, mais il n'est pas non plus sec ou sombre dans sa présentation du sexe.)

Le style subtil et sans prétention du réalisateur nous oblige à aiguiser les yeux et les oreilles. Une bonne chose, car à mesure que l'on remarque de petites choses, le ton du film devient de plus en plus inquiétant. Alors que Franck s'éloigne chaque soir dans sa voiture, apparemment le dernier à quitter la plage, une voiture rouge est garée là, son habitant introuvable. De tels détails s’accumulent et, tout à coup, nous regardons un film bien différent.

Cela dit, en guise de thriller,Étranger au bord du lacn'est pas vraiment palpitant. Vous sentez qu'il se passe bien plus ici que les bases de l'intrigue ; si le film avait été tourné dans les années 90, nous dirions tous que c'est une allégorie du sida. En vérité, Guiraudie semble plus intéressée par ce qui se cache de l’autre côté du mystère. L’idylle anonyme de cette plage peut-elle se terminer autrement que par le vide et le désespoir ? Si ces hommes ne s'approchent pas trop de peur d'être blessés, le réalisateur suggère qu'il pourrait y avoir une bonne raison à cela - et le film gagne à la fois en suspense et en émotion en laissant derrière lui son monde ensoleillé et en nous plongeant dans la nuit. Le mystère est peut-être résolu, mais le suspense et l'incertitude demeurent. Ainsi, Guiraudie termine son film sur une note froide, presque cruelle, de solitude existentielle qui pourrait, si on le permettait, vous briser le cœur.

Critique du film :Étranger au bord du lac