"Lucie perd son cheval" : Revue FIDMarseille

Claude Schmitz retravaille sa production théâtrale annulée par Covid en un drame onirique sur le pouvoir de la performance

Réal/scr : Claude Schmitz. France. 2021. 82 minutes

Le spectacle doit continuer dansLucie perd son cheval(Lucie Perd Son Cheval). Le premier long métrage du scénariste et réalisateur Claude Schmitz fait écho à Jacques Rivette en explorant les frontières glissantes entre le théâtre et le cinéma, l'art et la vie. Le processus et la responsabilité de l’interprète constituent un fil conducteur à travers un mélange imprévisible, parfois insondable, de rumination philosophique et de crise existentielle. Le prix GNCR du FID Marseille devrait contribuer à pérenniser un festival qui inclut déjà Bruxelles et Rotterdam.

Une lente et onirique descente au pays des merveilles théâtrales,Lucie…est empreint d'humour absurde et de drôlerie pince-sans-rire

Lucie trouve ses racines dans un projet théâtral intitulé « Un Royaume » que Schmitz avait créé pour le Théâtre de Liège. Décrit comme une « rêverie sur le métier de comédienne », il a été joué à Marseille et à Liège avant que le Covid ne mette un terme à la production et à une tournée prévue. Schmitz a ensuite retravaillé des éléments de la production théâtrale dans ce film hybride.

La nature méta du projet est encore soulignée par une charmante séquence d'ouverture dans laquelle Lucie (Lucie Debay) passe du temps avec sa mère et sa fille avant de s'arracher à elles pour travailler. La vraie fille de Debay, Nao, et sa mère Geneviève jouent elles-mêmes dans des moments tendres d'une réalité affectueusement observée. Lucie est alors vue chevauchant à travers la campagne ; son profil aquilin, ses cheveux blonds et son armure rappellent un peu Klaus Kinski dansAguirre, la colère de Dieu. L'aspect poli du film, avec ses champs dorés balayés par le vent, ses collines et ses nobles chevaliers, rappelle également celui de Robert Bresson.Lancelot Du Lac.

Alors que Lucie dort sous un arbre, son cheval disparaît. Elle rencontre ensuite deux autres femmes vêtues de cotte de mailles qui ont également perdu leurs chevaux. Lorsqu'on leur demande s'ils sont amis ou ennemis, ils répondent tous les deux qu'ils sont amicaux. Le trio voyage ensemble, savourant des moments de farniente, discutant et découvrant des points communs.

Schmitz passe ensuite à un théâtre où le machiniste polyvalent Francis (Francis Soetens) a accueilli son ami Olivier (Olivier Zanotti). Francis travaille sur une production du Roi Lear et semble être responsable de tout, de l'éclairage aux accessoires, en passant par les costumes et le mixage sonore. Il surveille également trois comédiennes (Lucie et ses compagnes) déguisées et endormies dans un coin de la scène. S'ils se réveillent, il doit contacter le réalisateur Pierre (Pierre Sartenaer).

Alors que Pierre tente de mettre en scène sa production du Roi Lear avec quatre acteurs et deux assistants, le film s'égare presque dansBruits désactivésterritoire. Marc (Tibo Vandenborre) a été appelé pour assumer le rôle titre à la onzième heure. Il y a des coupures de courant, une utilisation exubérante d'une machine à neige carbonique, une possibilité de romance entre deux des interprètes et un metteur en scène dont le mantra devient : « Le théâtre, c'est de la merde. Il suffit d'être là. » Le problème pour Lucie en fin de compte est de trouver cette capacité à être présente dans l'instant présent, qu'il s'agisse de créer un personnage ou de jouer avec sa fille. « Ne perdez pas le fil », se conseille-t-elle dans un monologue interne.

Une lente et onirique descente au pays des merveilles théâtrales,Lucie…est empreint d'humour absurde et de drôlerie pince-sans-rire. Ce n'est pas sans longueurs mais il y a quelques moments à chérir. L'imposant et lugubre Soetens est un délice particulier et constitue l'essentiel du divertissement.

Son thème central reste la vie de l'interprète. Lucie est constamment tourmentée par un sentiment de culpabilité d'avoir abandonné sa fille. La vie est sûrement plus importante que l’art, mais c’est peut-être une vie riche qui façonne son art. Se pose également la question de ce que devient un interprète lorsqu’il n’y a nulle part où se produire, une question qui fait de ce film ludique et stimulant une œuvre née de la pandémie de Covid.

Production companies: Le Theatre De Liege, Les Films De L’Autre Cougar, La RTBF

International sales: Les Films De L’Autre Cougar. [email protected]

Producers: Serge Rangoni, Annabelle Bouzom

Photographie : Florian Berutti

Editing: Marie Beaune, Jeanne Plassier

Musique : Maxime Bodson

Acteurs principaux : Lucie Debay, Hélène Bressiant, Tibo Vandenborre