« Frontière verte ? : Revue de Venise

Agnieszka Holland dresse un portrait accablant de la crise européenne des réfugiés dans cette candidature au Concours de Venise

Réal: Agnieszka Holland. Pologne/France/République tchèque/Belgique. 2023. 152 minutes

Une famille syrienne. Une femme afghane. Un jeune garde-frontière. Un psychologue polonais d'une cinquantaine d'années devenu militant. Tous se retrouvent dans et autour de la forêt inhospitalière qui marque la frontière entre la Biélorussie et la Pologne dans ce superbe drame aux multiples facettes d'Agnieszka Holland. Les films traitant de la crise actuelle des réfugiés en Europe n'ont pas manqué au cours de la dernière décennie. Pourtant, cette image, avec sa gestion extrêmement confiante d’une structure fracturée et fragmentée et ses deux forces motrices de compassion et de fureur, est sans aucun doute l’une des meilleures.

Gagne une puissance considérable grâce à l’authenticité brute des performances

Y a-t-il une urgence et une immédiateté dans la réalisation du film ? c'est tourné presque dans un style documentaire en noir et blanc saisissant ? cela distingue le tableau d'une grande partie des travaux récents de Holland. Contrairement aux beaux drames d'époque ornés de guirlandes commeCharlatan(2020) etM. Jones(2019),Bordure vertesemble résolument contemporain dans son approche. La colère crépitante de la pièce, l'énergie furieuse et l'actualité brûlante du sujet devraient en faire un favori du festival (à l'avenir, il sera projeté au TIFF et à New York) et un prétendant probable aux prix. Sur le plan théâtral, le bouche à oreille positif peut contribuer dans une certaine mesure à surmonter la lassitude du public face aux histoires de migrants.

Les réfugiés ont longtemps été déshumanisés par les gouvernements de pays qui préféraient ne pas se débattre avec les conséquences morales de leur refus d’entrée. Mais la situation actuelle entre la Biélorussie et la Pologne va bien au-delà. Dans une démarche du dictateur biélorusse Alexandre Loukachenko destinée à provoquer l’Europe, les réfugiés ont été attirés vers la frontière biélorusse par une propagande qui promet un passage sûr et facile vers l’UE. Au lieu de cela, ils se retrouvent face à des gardes-frontières polonais qui ont été conditionnés à les considérer non pas comme des humains, mais comme des armes dans l’arsenal de Loukachenko et de Poutine. « Ce sont des balles réelles ? » dit un garde supérieur lors d'un discours d'agitation visant à exploiter la haine déjà cachée dans le cœur de son équipe.

Dans la pièce se trouve Janek (Tomasz Wlosok), un mari et futur père qui est distrait par les appels téléphoniques répétés de sa femme très enceinte. Janek porte l'uniforme mais il est de plus en plus troublé par la cruauté facile de certains de ses collègues. Il engourdit ses doutes avec des plaisanteries artisanales et des plaisanteries grossières et décontractées.

Pendant ce temps, lors d'un vol à destination de Minsk, la capitale biélorusse, des réfugiés pleins d'espoir remercient pour la route sûre qui leur a été promise vers l'Europe. Parmi eux se trouve une famille de Syriens : Bashir (Jalal Altawil), sa femme Amina (Dalia Naous), leurs trois enfants et le père âgé de Bashir (Mohamad Al Rashi). Leila (Behi Djanati Atai), une Afghane voyageant seule, rejoint la famille en route vers la frontière polonaise. Mais, loin de la voie de facilité qui leur avait été promise, ils se retrouvent, comme des centaines d’autres réfugiés désespérés, les pions d’une impasse géopolitique, bousculés de part et d’autre de la frontière et subissant des traitements de plus en plus inhumains de la part de voyous en uniforme. Un petit groupe de militants dévoués, que Julia (Maja Ostaszewska) a récemment rejoint, font de leur mieux pour aider les migrants, mais sont liés par un cadre juridique restrictif qui les empêche d'apporter de réels changements.

C'est une montre meurtrière et parfois exténuante, qui tire une puissance considérable de l'authenticité brute des performances (plusieurs acteurs sont de véritables réfugiés) et d'une partition sobre, clairsemée et lourde de violoncelle. Mais c'est la gestion magistrale de la mise en scène par Holland qui a le plus d'impact. Dans une séquence complexe, la gentillesse des militants soignant les réfugiés traumatisés avec de la soupe et des secours se joue en arrière-plan tandis qu'au premier plan, un médecin implore une ambulance des services d'urgence indifférents. Dans une autre, la famille syrienne est assise, saignante et sale, devant un mur orné d’une fresque représentant le drapeau de l’UE, dans un réquisitoire pointu et accablant contre l’inaction de l’Union européenne dans une crise toujours croissante.

Sociétés de production : Metro Films, Astute Films

Ventes internationales : Films Boutique[email protected]

Producteurs : Marcin Wierzchosławski, Fred Bernstein, Agnieszka Holland

Scénario : Maciej Pisuk, Gabriela Lazarkiewicz-Sieczko, Agnieszka Holland

Photographie : Tomek Naumiuk

Montage : Pavel Hrdlick

Scénographie : Katarzyna J?drzejczyk

Music: Frédéric Vercheval

Acteurs principaux : Jalal Altawil, Maja Ostaszewska, Tomasz Wlosok, Behi Djanati Atai, Mohamad Al Rashi, Dalia Naous