'1976' : Revue de Cannes

Un début impressionnant et émouvant de l'actrice devenue réalisatrice Manuela Martelli

Directeur: Manuela Martelli. Chili/Argentine/Qatar. 2022. 98 minutes

Le privilège offre peu de protection contre les réalités de la vie quotidienne dans1976. Le premier long métrage impressionnant de Manuela Martelli offre une nouvelle perspective sur les cauchemars du Chili de Pinochet en suivant le dangereux flirt d'une femme d'âge moyen avec l'engagement politique. Le mélange d'étude des personnages, d'intrigues hitchcockiennes et d'une excellente performance centrale d'Aline Kuppenheim en fait un conte tendu avec un fort potentiel d'art et d'essai.

Martelli propose une évocation subtile et discrète du Chili des années 1970.

Martelli nous convainc sournoisement que nous savons qui est la Carmen de Kuppenheim. On est presque invité à la juger. Nous la voyons d'abord assise, feuilletant calmement un guide de Venise pendant qu'un employé d'un magasin mélange de la peinture. Elle semble habituée à être servie. Elle trouve une photo d'un coucher de soleil qui correspond parfaitement au rose qu'elle recherche pour les murs de sa maison d'été. C’est une femme dont le seul souci au monde est une palette de couleurs délicate. Il y a une agitation à l'extérieur du magasin que nous voyons mais que nous n'entendons jamais. Alors que Carmen retourne à sa voiture, son attention est attirée par une chaussure perdue ; le dernier signe de vie pour quelqu’un aujourd’hui « disparu ».

1976propose une sorte de retrouvailles pour certains des personnages clés deÇa fait mal(2004) avec le réalisateur Andres Wood désormais parmi les producteurs et Martelli dirigeant son ancienne co-star Kuppenheim. Martelli propose une évocation subtile et discrète du Chili des années 1970. Les émissions de radio, les gros titres des journaux et les images télévisées en noir et blanc parlent d’un pays en pleine tourmente. La palette de couleurs du film est rassurante ; des bruns sourds et des rouges chauds se retrouvent dans de vieux canapés solides et des panneaux en bois sombre. L'élégance et la garde-robe saisissante de Jackie O de Kuppenheim sont une déclaration de caractère. Vêtue d'un manteau camel, d'un chemisier en terre cuite, de gros bijoux ou de chaussures coûteuses, elle apparaît comme une femme de substance, sûre de sa place dans le monde. Le succès du film réside dans la réduction de cette image pour révéler l’individu invisible, plus complexe et plus grand, qui se cache en dessous.

Carmen s'est chargée de la décoration de la maison d'été tandis que son mari Miguel (Alejandro Goic) reste à Santiago, à l'hôpital où il travaille comme médecin. Lorsque la famille vient leur rendre visite un week-end, il est clair que la politique n’est pas un sujet de table approprié. Il y a quelque chose de choyé chez Carmen et les gros plans donnent l'impression d'une femme légèrement déconnectée des conversations qui l'entourent et des hypothèses de ses proches. Miguel la caractérise avec condescendance comme une femme avec « la tête dans les nuages ​​».

Les traits pâles et impassibles de Kuppenheim donnent facilement l'impression d'une femme avec des secrets. Il y a aussi une lassitude dans sa performance, faisant allusion à quelqu'un fatigué de se contenter de la vie qu'elle a. Peu à peu, nous voyons plus de facettes de Carmen. C'est une femme qui donne des vêtements à l'église et lit aux aveugles. Elle a du mal à dormir la nuit et n’est clairement pas dénuée de conscience ni de compassion. Elle avait voulu étudier la médecine, mais une telle chose n’était pas possible pour une femme. Lorsque le père Sanchez (Medina) lui demande de l'aide pour soigner un jeune homme blessé, elle accepte sans poser de questions embarrassantes. Le « Père » Elias (Sepulveda) a reçu une balle dans la jambe et nécessite des soins médicaux. Carmen ment pour obtenir des antibiotiques et devient de plus en plus compromise à mesure qu'elle propose une aide supplémentaire.

Un film différent pourrait se sentir obligé d'allumer une étincelle de romance entre Carmen et le jeune Elias. Martelli reste concentré sur Carmen et les conséquences de sa décision d'agir. Le dernier tiers d'un film économique semble certes plus conventionnel mais est effectivement imprégné d'une paranoïa compréhensible alors que Carmen commence à soupçonner qu'elle est suivie et ne peut plus faire confiance à tous les visages familiers qui l'entourent. Quelqu'un pourrait veiller sur elle, les avertissements amicaux deviennent sinistres et on prend de plus en plus conscience du prix à payer pour une femme qui ose sortir des sentiers battus.

Sociétés de production : Cinestation, Wood Producciones, Magma Cine

Ventes internationales : Luxbox Films,[email protected]

Producteurs : Omar Zuniga, Alejandra Garcia, Dominga Sotomayor, Andres Wood

Scénario : Manuela Martelli, Alejandra Moffat

Photographie : Yalara Rodriguez

Montage : Camila Mercadal

Scénographie : Francisca Correa

Musique : Maria Portugal

Acteurs principaux : Aline Kuppenheim, Nicolas Sepulveda, Hugo Medina, Alejandro Goic