Suite à l'annulation sans précédent de la 73e édition du Festival de Cannes en raison de la pandémie de Covid-19, le délégué général Thierry Frémaux livre ses sentiments à la veille de ce qui aurait dû être la semaine d'ouverture du festival, initialement prévue en mai. 12-23.
Frémaux évoque également les projets de la Sélection officielle 2020, ce que l'événement compte faire pour soutenir le cinéma dans les mois à venir et ses espoirs que Spike Lee soit présent pour l'édition 2021 pour assumer le rôle de président du jury.
C'est la veille de l'ouverture du Festival de Cannes, prévue le 12 mai. Comment te sens-tu?
Sur le plan personnel, je suis envahi par un grand sentiment de mélancolie et de nostalgie. Je vais au festival depuis 35 ans. C'est mon métier, mais au-delà c'est aussi un formidable événement convivial, humain, artistique et gastronomique, non seulement pour moi mais pour tous ceux qui y participent. Chaque année, nous vivons une expérience extraordinaire. Sur le plan professionnel, je fais face à une situation inédite, mais avec sérénité. Au festival, nous avons décidé de profiter de cette situation difficile, qui frappe tout le monde, comme une opportunité pour réfléchir à l'avenir.
Avez-vous déjà pensé que vous verriez le festival annulé de votre vivant ?
Jamais! Gilles Jacob n'a jamais vécu quelque chose de pareil. Cannes n'a été annulée qu'une seule fois, à cause de la Seconde Guerre mondiale, et arrêtée une fois, en mai 1968. Je n'aurais jamais pu imaginer quelque chose comme ça. Qui aurait pu prévoir qu’autant de pays à travers le monde seraient touchés par l’épidémie ?
L'ouverture initiale, le 12 mai, aurait eu lieu quelques jours seulement après les célébrations du jour de la Victoire en Europe, marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Cela vous touche-t-il, étant donné que le début de la guerre a été l’un des deux seuls événements qui ont conduit à l’annulation du festival ?
Chaque année, nous sommes confrontés à des complications, dont beaucoup ne sont jamais rendues publiques. Nous avons eu d'autres soucis avant les éditions précédentes mais rien de comparable à cette année. En 2003, il y a eu la menace du Sars, puis il y a eu l'éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull en 2010. Le Sars m'a fait réfléchir sur le fait qu'un jour Cannes pourrait être annulée. En février, ce sentiment est revenu et j’ai commencé à avoir une idée de la gravité de la situation qui m’attendait. Depuis lors, au festival, nous traitons ces événements aussi calmement que possible, nous attendant au pire et espérant le meilleur tout en poursuivant notre mission.
Festival de Cannes
Espérez-vous toujours pouvoir organiser une édition physique de Cannes plus tard cette année ?
Dans ces conditions, une édition physique de Cannes 2020 est difficilement envisageable, il faudra donc faire quelque chose de différent. Un « festival » ? est une fête collective, un spectacle qui rassemble un public dans un lieu donné, en l'occurrence sur la Croisette, en présence de milliers de personnes. Tout le monde comprend que c'est impossible cette année. Le Festival de Cannes, qui par nature est une institution mondialisée, ne peut échapper au statut de victime au même titre que le reste des activités humaines.
Cannes a toujours été un événement intrinsèquement international. Aurait-il été possible de conserver l'esprit du festival cette année sans la présence de stars et de professionnels du monde entier ?
Cannes ne pouvait se dérouler que comme d'habitude, avec les stars, le public, la presse et les professionnels. Ce n’était pas possible pour des raisons de santé, donc ce n’était pas possible du tout. Le festival doit toujours montrer son meilleur visage.
Êtes-vous toujours déterminé à annoncer une sélection officielle ?
Oui, nous travaillons sur la liste des films qui auraient dû faire partie de cette 73e édition. Nous annoncerons la liste début juin. Tous les films devraient sortir en salles d'ici le printemps 2021. La sélection ne se fera probablement pas selon le format structuré habituel que l'on connaît avec les sections Compétition, Un Certain Regard et Hors Compétition. Il aurait été ridicule de faire comme si de rien n’était. Mais au plus profond de notre cœur, ce que nous voulons, c'est promouvoir les films que nous avons vus et aimés. Nous avons reçu des films du monde entier, des œuvres magnifiques, et c'est notre devoir de les aider à trouver leur public. Une fois la liste annoncée, l'objectif est de commencer à organiser des événements dans les cinémas. Les professionnels du monde entier avec lesquels nous sommes en contact au quotidien nous disent que cela représente une opportunité pour leurs projets.
Pouvez-vous donner un peu plus de détails sur la façon dont la sélection fonctionnera. Les films de cette sélection spéciale seront-ils invités à nouveau pour l’édition 2021 ?
Non. Seuls les films destinés à sortir en salles entre l’été 2020 et le printemps 2021 sont éligibles à la sélection. Un certain nombre de candidatures potentielles ont plutôt choisi d'attendre le processus de sélection pour Cannes 2021, qui débute à l'automne. Il existe une troisième catégorie de films qui sortent désormais directement sur les plateformes. Pour l’instant, nous nous concentrons sur les films qui doivent sortir en salles et qui ont besoin de notre soutien.
Comment avez-vous poursuivi le processus de sélection confiné qui a débuté le 17 mars en France ?
Nous travaillions tous à la maison, ce qui n'est pas une si mauvaise chose pendant la période de sélection. L'équipe de sélection est assidue et en bonne forme. Pour les cinéphiles que nous sommes, c'est un tel privilège d'être aux premières loges de la création. J'adorerais publier leurs notes, qui sont brillantes, instructives et drôles. Nous recevions les films par liens et nous en discutions via des notes écrites ou des téléconférences. Nous avons vu le même nombre de films que d'habitude, soit plus de 1 500 longs métrages.
Vous construisez généralement la sélection officielle au cours d’une année. Quel pourcentage de la Sélection était en place au moment du confinement ?
La Sélection s'est déroulée normalement, au moins aussi normalement qu'elle aurait pu le faire pendant cette période. On nous a envoyé des films du monde entier, même pendant le confinement, et la Sélection était à son stade habituel au moment du confinement. Mais les mois de mars et avril sont les mois les plus importants, et moins de 20 % de la Sélection était en place.
Avez-vous déjà ressenti l’impact du Covid-19 en début d’année ? Avez-vous reçu moins de soumissions en provenance d'Asie, par exemple, où le virus a frappé pour la première fois ?
Non, absolument pas. Nous avons continué à recevoir beaucoup de films asiatiques. Il y a eu plus de morts en Europe et aux États-Unis et nous n'avons pas non plus reçu moins de films de ces régions du monde.
Y a-t-il eu des titres qui ont été retirés à cause de la crise sanitaire ? Cela vous a-t-il déçu ou contrarié ?
Il n'y avait qu'un seul exemple. Lorsqu'il a été annoncé que Cannes ne pourrait pas avoir lieu en juillet, un producteur et agent commercial a retiré un film pour le projeter à Venise. Mais ce n’était pas un problème car nous ne l’aurions pas choisi. Mais ce comportement est une exception car le monde entier est resté fidèle à Cannes.
Envisagez-vous d’avoir des jurys ou des récompenses ?
Non, il est impossible de réunir un jury.
Spike Lee aurait dû être président du jury cette année. Est-ce qu'il assumera ce rôle l'année prochaine ?
Spike Lee nous a dit qu'il nous serait fidèle quoi qu'il arrive. J'espère que nous pourrons y parvenir l'année prochaine. Nous échangeons beaucoup de messages. Il est le symbole d’une ville, New York, particulièrement touchée par l’épidémie. Le court métrage qu'il vient de réaliser capture la ville confinée avec Sinatra chantant « New York, New York ? est extrêmement émouvant. Mais ses fiançailles ne l'empêchent pas d'être amusant dans ses messages qu'il termine toujours par « Vive la France ! et plein de petits drapeaux bleus, blancs et rouges. Et pour tout vous dire, il nous a montré un beau film qu'il a réalisé avec Netflix [Da 5 Sangs]. Le terrain ? Un groupe d'anciens combattants afro-américains de la guerre du Vietnam, septuagénaires, qui décident d'y retourner parce qu'ils ont une dernière chose à résoudre. Ça donne envie de le voir, n'est-ce pas ? C'est la surprise qu'il nous a faite et elle aurait dû marquer le retour de Netflix sur le tapis rouge, Hors Compétition bien sûr. Nous étions prêts pour un Cannes fabuleux.
De nombreuses rumeurs circulent sur d'éventuelles collaborations entre Cannes et des festivals comme Venise, Toronto, Saint-Sébastien et Zurich. Pouvez-vous donner quelques détails ?
Oui, nous discutons avec nos amis et collègues. Une situation exceptionnelle appelle une réponse exceptionnelle. De nombreux festivals nous ont invités et c'est un geste touchant dans ce contexte où l'unité et la solidarité sont essentielles. Avec le label Cannes 2020 et le Marché du Film en ligne, un « Cannes hors les murs » [hors les murs] sera le troisième axe de notre redéploiement cet automne. Nous irons à Toronto, Deauville, Angoulême, Saint-Sébastien, New York, Busan en Corée et même au festival Lumière de Lyon, qui est un festival de cinéma contemporain et classique, qui accueillera de nombreux films. Et avec Venise, nous voulons aller encore plus loin et présenter des films ensemble.
Pourriez-vous donner quelques détails supplémentaires sur la façon dont cela pourrait fonctionner ?
Nous y travaillons actuellement car ces plans dépendent de la situation de santé publique. Nous en saurons plus en juin. L’essentiel est de soutenir les films plutôt que de battre notre propre tambour. Le film de Wes Anderson [La dépêche française], qu'on a vu et aimé déjà en décembre, aurait dû débuter sa carrière à Cannes et nous en sommes fiers. C'était pareil avec le nouveau film de Nanni Moretti [Trois histoires]. S’ils doivent aller ailleurs, je serai très content pour eux. L'essentiel est que le plus grand nombre possible de spectateurs puisse les voir. Ces deux films sont fantastiques, tout commeÂme, de Pete Docter, que nous avons également vu.
Si les sociétés de ventes décident de présenter leurs films labellisés Cannes 2020 aux acheteurs et à la presse sur le Marché du Film en ligne, cela ne s'apparente-t-il pas en quelque sorte à un Festival de Cannes virtuel ?
Non. Le Marché du Film sera réservé aux professionnels, pas à la presse. Un marché est un lieu où s'échangent des films, des extraits, des bandes-annonces, des films terminés. Ce n'est pas un festival. J'aimerais qu'on m'explique ce qu'est exactement un festival numérique ? Quel est son public ? Comment s’organise-t-il dans le temps et dans l’espace ? Les réalisateurs et producteurs des films seraient-ils d’accord ? Comment arrêter le piratage ? Quels seraient les rares privilégiés à le voir ? Quelles seraient les conditions financières ? Les films projetés sortiraient-ils en salles ? Une partie des médias aime parler d'un festival numérique, mais aucune enquête sérieuse n'a été menée sur ce que cela signifie exactement et quel serait le résultat final. Cela ne fonctionnerait réellement que pour les films destinés uniquement à une sortie sur Internet plutôt que pour les films ayant un espoir d'entrer en salles. Et c'est loin de Cannes.
Certains professionnels du cinéma ont exprimé leur frustration à l'égard du festival en raison du manque de clarté de ses projets. Quelle est votre réponse à ces critiques ?
L’absence de clarté vient d’abord de l’inconnu dans lequel le monde entier est plongé. Nous avons été très clairs sur nos intentions. Cannes aurait dû avoir lieu en mai, et nous avions jusqu'au 15 avril pour le confirmer. Nous avons annoncé le 19 mars que nous reportions à début juillet. Mais le 13 avril, le président [Emmanuel Macron] a interdit tous les festivals pour le reste de l'été. Nous avons donc dû abandonner notre projet pour juillet. Nous avons ensuite organisé le Marché du Film numérique et annoncé la création d'un label avec la sélection début juin. Et je viens de vous dire que nous annoncerons nos projets pour l'automne en juin. C'est un calendrier parfaitement clair.
Il est vrai qu'une partie des médias souhaitait l'annulation du festival. Et une annulation était une évidence. Mais, avec Pierre Lescure, [le président du Festival de Cannes], nous n'avons pas voulu abandonner le terrain et passer à la 74e édition, en laissant derrière nous tous ceux qui dépendent de nous. L'exposition à Cannes est irremplaçable, mais cela confère aussi des devoirs. Nous voulons être là le jour où le cinéma reviendra dans nos vies, dans nos salles et auprès du public. Nous sommes confrontés à une situation inédite et nous avons pris le temps de réfléchir et de proposer un redéploiement qui convienne à tous : nous avons le soutien de professionnels et d'artistes du monde entier. J'ai parlé à mes amis du Tour de France, ils sont exactement dans la même situation.
Pensez-vous que cette crise sanitaire mondiale et les confinements qui en résultent pourraient causer des dommages irréparables à l’industrie du cinéma ?
Il ne faut pas essayer de jouer au jeu des prévisions. Rien d'irrémédiable n'arrivera si nous combattons avec conviction et ensemble : cinéphiles, spectateurs, artistes, professionnels et journalistes. Cette crise sanitaire impacte le monde entier, nous sommes tous confrontés au même événement. Les professionnels du cinéma en sortiront affaiblis. Nous devrons gravir la colline et ce sera une longue marche. Cela demandera de la pédagogie, de la discipline et de la bienveillance. Mais pour les salles de cinéma, des indépendants aux grands groupes, la tâche sera financièrement énorme, comme elle le sera pour le reste de la société.
Parallèlement à l'exposition, toute la chaîne de distribution devra être renforcée. L’autre souci, ce sont les tournages de films. Les cinéastes tentent de poursuivre leur travail, d'écrire et de se remettre ensemble avec un nouveau calendrier. Le cinéma est une industrie culturelle qui emploie des milliers de personnes, du plus humble apprenti au réalisateur, du producteur au distributeur ou exploitant, de Paris ou de New York, jusqu'à une province d'Italie ou d'Inde.
Pensez-vous que l’industrie du cinéma va rebondir ?
Oui. Bien sûr. L'annonce de la mort du cinéma n'a rien de nouveau. C'est qu'on sait très bien que ce n'est pas vrai mais que les médias, même en France, ne le disent pas assez. Alors oui, tout va rebondir : comme l'écrivait Sartre dansLes motsUne fois le cinéma inventé, il est devenu évident qu’on ne pouvait plus s’en passer. Mais je constate une différence d'attitude entre la presse française et anglo-saxonne, qui semble plus pessimiste et plus encline à vanter le succès des plateformes plutôt qu'à soutenir l'exposition.
Comment pensez-vous que la crise sanitaire va impacter le type de films qui sont conçus pendant cette période ? Pensez-vous que le confinement mondial pourrait donner lieu à des films plus insulaires et moins ouverts sur le reste du monde ?
Je fais confiance aux cinéastes, aux scénaristes et à tous les créateurs pour prendre le pouls de ce que nous vivons aujourd'hui, le transformer et le transcender. Grâce à notre travail de sélection cette année, nous avons pu voir émerger une nouvelle génération qui a déjà pris en compte les défis auxquels nous sommes tous confrontés aujourd'hui. Ces créateurs sont déterminés, souvent drôles et portent une vision de leur époque : ses bouleversements, les colères sociales et son rejet du fantasme de cette civilisation numérique.
C'est une question intéressante : il y a un débat plus large que le monde du cinéma doit prendre en compte, à savoir comment la culture des séries a impacté notre rapport à la fiction, aux histoires et à la romance. Le succès de la série ? leur choix de sujet, la qualité de leurs scénarios, de leurs dialogues, leur découverte de nouveaux talents ? a connu une évolution considérable au cours des 15 dernières années. Le cinéma possède une dimension universelle que la « télévision » ? Je dis ? télévision ? parce que les plateformes puisent essentiellement leurs racines dans une culture créée dans les années 1950 par la télévision ? Ce n'est pas encore le cas, mais elle doit encore s'interroger sur son passé récent et son avenir.
La levée du confinement en France et dans le monde pourrait être un processus lent. Combien de temps pensez-vous qu’il faudra à l’industrie pour revenir à la normale ?
S'il n'y a pas de deuxième ou de troisième vague, le public reviendra dans les salles mais il faudra attendre deux ou trois mois à compter de l'ouverture des cinémas. Si c'est en juillet, comme nous l'espérons, cela pourrait être un bel automne. Mais nous ne devrions pas commencer à rouvrir si les conditions ne sont pas toutes réunies. Le processus technique de remise en route pourrait être assez rapide, mais le processus plus vaste sera long. Si les gens retournent vraiment au cinéma après l'été et que les tournages reprennent, ce sera déjà une grande victoire et nous serons prêts pour une fin d'année splendide, qui nous permettra de lancer l'année à venir. Mais la clé est de trouver un traitement contre le virus. D’ici là, nous vivrons différemment. Mais les sondages montrent que les gens veulent retourner au cinéma.
Quels seront les plus grands défis ?
Tout d’abord, les salles de cinéma pour des raisons faciles à imaginer. Ils seront sans revenus depuis des mois et en sortiront affaiblis. Une fois le confinement levé, ils devront repartir de zéro. Des indépendants aux grands groupes, l'enjeu est de taille ? comme c'est le cas pour le reste de la société. Les tournages, surtout dans les régions où ils génèrent de nombreux emplois, directement ou indirectement. Et la tâche des festivals ne sera pas plus facile en 2021 car il y aura moins de films disponibles.
Vous avez toujours été un grand défenseur des cinémas d'art et d'essai à travers votre travail à l'Institut Lumière de Lyon, qui gère quatre salles de la ville. Craignez-vous que le circuit art et essai soit gravement endommagé ?
La meilleure façon de soutenir les salles de cinéma ? c'est d'y aller. Il y a bien longtemps un théâtre de Lyon « célébrait » sa clôture avec un spectacle final. Le directeur dit : « Merci d'avoir été si nombreux ce soir, mais je ne vous remercie pas de ne pas avoir été aussi nombreux les autres soirs. » Cela veut tout dire : si on n’y va pas, les théâtres mourront, point final. Cela demandera quelques efforts, mais il y a des choses pires que d’aller au cinéma, non ?
Il faudra des mesures de protection, notamment autour des loyers, et des garanties économiques. Comme le font les Allemands : pas de licenciements, et tout le monde reste prêt pour un retour à la normale. Nous avons protégé les banques en 2008, protégeons donc les cinémas, les théâtres et les librairies en 2020. Personnellement, pour vivre, j'ai besoin de ma banque. Mais j'ai aussi besoin de cinéma.
Pensez-vous que l’expérience sur grand écran risque d’être éclipsée par la distribution numérique ?
Pas du tout. Bien sûr, nous avons vu que les plateformes sont le modèle parfait pour le confinement. Mais quandVengeursa battu des records au box-office pour devenir le film le plus vu de l'histoire du cinéma, tout le monde a dit que les plateformes allaient mourir ? Depuis le début de l’ère numérique, nous nous posons les mauvaises questions. Le cinéma sur grand écran a cohabité avec le cinéma « hors salles » ? depuis l'invention de la télévision. Un jour, il y a eu davantage de chaînes de télévision, puis de DVD et maintenant de plateformes. Ils existent parfaitement côte à côte. Pourquoi la presse passe-t-elle son temps à annoncer le déclin des salles alors que ce n'est pas vrai. Et pourquoi disent-ils que nous sommes opposés aux plateformes. Cannes se réjouit de l'existence des plateformes. Ils ont une politique de production brillante, se nourrissant d'eux-mêmes et nourrissant l'histoire du cinéma et des artistes. La seule chose sur laquelle nous ne sommes pas d'accord est le fait que les films projetés en Compétition doivent être destinés à une sortie en salles. Mais il faut de tout : des salles, des petits écrans, des films et des séries.
Mais cette société numérique, cette civilisation numérique, ce n'est pas la vraie vie, où l'énergie circule, où l'on confronte nos idées, nos opinions, et où l'on parle de sujets qui nous animent et nous passionnent. Que regardons-nous à la maison en ce moment ? Beaucoup de films de cinéma. Le besoin de fiction est nécessaire. Avant, le cinéma portait cela seul. Imaginons une seconde une situation qui est à l'opposé de ce que nous vivons actuellement : un virus informatique efface tous nos ordinateurs. Quel serait le résultat ? Les gens se précipiteraient immédiatement vers les théâtres, les centaines de millions de spectateurs de l'après-guerre, avant l'arrivée de la télévision, reviendraient. Malheureusement, nous vivons l’inverse. Le cinéma est interdit tandis que les télévisions et les plateformes sont les seuls moyens disponibles pour regarder des films. C'est dommage car nous avons fait une année 2019 fantastique. Mais nous reviendrons plus forts en 2021.
A l’approche du 12 mai, avez-vous reçu des messages de soutien et de solidarité de la part de cinéastes et d’autres personnalités liées fortement au festival ?
Nous avons reçu énormément de messages du monde entier et je soupçonne qu'il y en aura encore davantage durant la semaine du 12 mai. Chacun félicite le festival pour la force de ses convictions, la clarté de ses positions et sa défense des films et artistes. Quand nous reverrons enfin tout le monde, il y aura une grande fête.
La France commencera à assouplir son confinement le 11 mai. Quelle est la première chose que vous ferez ?
J'irai déposer des fleurs sur les tombes d'amis décédés. Et puis je retournerai à la projection des films pour compléter la Sélection officielle 2020.